Exil intérieur, juin 2013

Exil Intérieur

Au cours de ces six dernières années, mon travail s’articulait autour du mot  »Exil ». Quel sentiment de désespérance peut rendre ces candidats aux voyages insensibles à la souffrance de leur parcours? Comment ce choix s’impose t-il à eux? Survivront-ils à un déracinement qui les plonge souvent dans les difficultés d’une errance où ils se trouvent ballottés en terre étrangère? Quelques essais scénographiques et un projet d’installation ont été motivés par ce questionnement.

Mon projet aujourd’hui s’articule autour de cette question du choix, choix d’exil ou de tout autres motivations, choix susceptible de faire basculer nos vies. Cet instant fugace où une décision peut être prise. La réponse suggérée dans un précédent projet était celle de l’arrachement volontaire à sa propre matière. Quitter à en perdre les bras, là où d’autres en perdent la raison. Quitter en laissant une partie de soi.

les lumières de la ville1

Maquette de préparation du dossier de candidature à la Biennale des « Arts actuels », Réunion 2011

Dans la suite de mes recherches, une photographie-portrait de  »Martha Graham » m’apparaît comme une illustration de ce propos. Cette posture suggère un vide que l’on peut imaginer abyssal. Son regard amène la même suggestion , un regard plongé dans une interrogation nous rappelant que le travail de cette danseuse fût très influencé par la psychanalyse. Ces deux éléments traduisent pour moi l’effarement qui peut être ressenti en regardant autour de soi, un vertige face à un choix imminent. Soulagement et vertige d’un instant qui passerait de l’attente à l’action, action dictée par un choix? Ce portrait montrent aussi des mains qui viennent tenir la tête sur ces côtés : apaisement, surprise? Entre ces mains, son visage est apaisé et aspiré. Les mains renforcent cette impression et suggèrent à la fois une forme de détermination. La représentation des mains revient plusieurs fois dans mon travail, des mains qui consolent, des mains qui rassurent, des mains qui caressent, des mains qui guident, des mains qui accouchent.

La lecture de ce portrait donne lieu à une exploration où différents médiums se croisent. Alors j’espère, à travers une gravure, une peinture et un installation, donner de la consistance à cet instant éphémère, à cet instant teinté de la solitude existentielle propre à chacun.

Les aller-retours permanents entre ces diverses matériaux/techniques nourrissent souvent ma réflexion plastique.

Mes premières variations autour de ce thème furent des gravures à l’eau-forte.

321 noir et blanc

Exil intérieur n°3,Eau forte, 2011,20 cm x 37cm

312

Exil intérieur n°28, eau forte, 2011, 25 cm x 28 cm

Réaliser une gravure est avant tout à mes yeux un « process », un enchaînement d’opérations : graver une plaque en étain, utiliser une pointe sèche et des bains d’acides, encrer la plaque et enfin imprimer.

On utilise couramment l’expression  »graver dans la mémoire ». Et si pour moi il s’agissait de graver dans le métal un moment éphémère et impalpable: celui où le vertige se fait choix. Graver cet éclair qui nous propulse vers un ailleurs.

Graver nécessite de gratter (pointe sèche), brûler (aquatinte) puis tremper dans des bains d’acide.On espère aussi que l’acide va mordre l’étain…N’impose-t-on pas des maltraitances à l’étain symbolisant ainsi l’arrachement que peut constituer un choix? Le tirage se fait net, doux. Le dessin nous est renvoyé réfléchi, comme l’image dans un miroir, ne s’ agit-il pas du travail de mémoire déjà amorcé?

La taille raisonnable de l’aplat noir sur la gravure de gauche m’a été dictée par le format de la plaque en étain . Il aurait pu être plus allongé encore, il aurait pu se faire paysage mais je décide une interprétation peinte de ce thème.

J’entreprends un travail de peinture à l’huile sous la forme d’un triptyque pour souligner ce que je considère comme étant les deux lignes maîtresses de ce portrait : l’horizontalité et la verticalité.

Je choisis de traiter le portrait conjointement à deux autres toiles soulignant des tensions verticales pour la première et horizontales pour la seconde. Sur la toile située sous le portrait, le vide se fait falaise puis cascade, la nature regorgeant de paysages vertigineux soulignant la présence d’un vide. L’équilibre proposé par une tension inverse d’un l’homme sur la toile à droite du portrait suggère un équilibre trouvé avec la rencontre de l’autre.

Le point de départ de cette toile fut l’impression de deux motifs qui m’accompagnent depuis longtemps: une photographie de fougère arborescente réalisée à La Réunion et une photographie prise durant le tournage de La Strada de Fellini. Un paysage végétal mêlé à un paysage urbain, le choix de ce tryptique est peut-être teinté d’envie contrastée, allier des univers à priori inconciliables.

Je profite de ces peintures pour agrandir les formats, une envie de corps à corps avec la matière et d’engagement physique total que ces grands pans de toile libre m’imposent.

DSCF5071

Huile sur toile, 90 cm x 90 cm, 2012 Huile sur toile, 90 cm x 200 cm, 2012.

DSCF5062 copie

Huile sur toile, 90 cm x 200 cm, 2012.

DSCF5073

Huile sur toile, 90 cm x 200 cm, 2012.

La documentation continue de mes recherches m’amène à découvrir que trois thèmes sous-tendent le travail de Martha Graham: « la quête spirituelle et mystique, l’identité américaine et l’exploration des accents de l’inconscient ». Ce dernier est probablement ce qui me lie le plus à son travail. En effet, à travers chacune de mes rencontres, je charge chacune de l’histoire de tous. Ce portrait continue de m’habiter, cet instant éphémère où le choix se vit comme un saut en parachute continue de me poursuivre. Je décide donc de lui donner toujours plus de matière et entreprends un travail plastique, de modelage du buste de la tête enserrée dans les mains, l’ensemble de la pièce émergeant d’une paroi verticale. 100 kg de terre pour cet instant imperceptible.

Cette poursuite du lien avec Martha Graham peut-être aussi volonté de rendre hommage à cette femme fortement imprégnée du travail sur l’inconscient du psychiatre suisse C. G. Jung (1875 – 1961), et hommage sculptural pour une danseuse ayant travaillé très volontiers avec des sculpteurs comme A. Calder (1898 – 1976), I. Noguchi (1904 – 1988) qui ont élaboré plusieurs de ses scénographies?

Notons une nouvelle fois le contraste entre le calme de ce visage et la torsion en limite d’équilibre de ce corps. Notons aussi que ce portrait de Martha Graham porte en lui ce que j’apprendrai être plus tard une caractéristique du rythme « grahamien » fondé sur la « contraction-détente » notamment autour du bassin, centre de toutes les pulsions.

La faire sortir d’un mur me semble une façon de souligner le changement de point de vue qu’elle entame. Ce choix vertigineux qu’elle affirme dans un contraste entre sérénité et déséquilibre.

puit 2

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