
Presque tout de ce qui s’échange passe par la mer. Dans des boites ou sur des radeaux, presque tout. Des choses, on sait presque tout mais de la mer on sait peu de choses. Petit pou appelle cette planète qui est de mers couvertes, la terre. Petit pou ne manque pas de culot.
La mer est là qui tisse, et la mer est là qui respire, deux fois par jour elle inspire et deux fois elle expire. Nous autres, petits poux affairés, on se vautre sur la litière de sable chaud et on joue à aller vite ou bien avec des balles. On joue tout contre le Dragon Bleu qui monte et qui descend, même la petite mer d’ici monte et descend discrètement.
Alors oui Sarah Thiriet a raison. Regarde la mer ! C’est une injonction ! Quitte un instant ton nombril en or pur, ce n’est après tout que la cicatrice d’un cordon dont certain meurent étranglés, et regarde.
La mer est un trait sur le ciel qui n’est rien (la preuve on y a mis les dieux qui n’existent pas), alors il y a ici et là dans les sculptures de cette exposition, des niveaux d’eau.
La mer est amicale avec le bois et patiente avec le fer, alors du bois et du fer il y en aura et du verre aussi. Le verre c’est du sable et c’est transparent comme l’eau, le verre appartient à la mer, il y aura du verre.
L’exposition de Sarah Thiriet est solidement construite. Les pièces s’y parlent et s’y répondent. Regarde ! Alors il y a des yeux, deux yeux, celui de La Buse et celui barbelé
Sarah Thiriet travaille dans la compagnie des menuisiers et des soudeurs, et ses sculptures sont belles et bien faites, cela compte énormément. Elles disent que depuis longtemps, depuis toujours, migrer c’est vivre et que pour migrer il faut des embarcations légères et solides et des cartes bien dessinées et des astrolabes aussi. On ne mesure pas la mer avec des chaines d’arpenteur. Il n’y a pas de cadastres sur la mer, il y a des directions et des caps à suivre, des aiguilles de boussoles, des flèches enroulées comme des hameçons. Les frontières sur les cartes marines sont de petits pointillés presque ridicules, évidemment que des pointillés ça laisse passer beaucoup.
En regardant la grande photo qui bouge il faut faire attention, la statue d’à côté pousse une antenne d’acier tout près de votre nuque. Sur l’écran la danse de Luc Martinez fait signe. Sur les causses auvergnats ou les tables des marais salant, ça fait signe. Luc Martinez danse la danse de la migration.
L’exil, ici, je veux dire dans cette exposition est un envol et une promesse aussi. Les exilés sont des migrateurs pas des fuyards. Ces voyageurs héroïques et modestes méritent qu’on leur fasse des monuments et pas des monuments aux morts des monuments aux vivants, des monuments à la vie. C’est ce que sont ces pièces de bois dressés. Beaucoup d’élégance dans ces assemblages de bois rougeâtre et massifs. Des chevilles et des brêlages. La mer est là qui veut bien qu’on s’y flotte.
Cette exposition n’est pas un bric-à-brac d’objets à vendre, cette exposition est un monde, le monde selon Sarah Thiriet. Le monde des thons et des syriens et des gnous et des bretons aussi. Le regard bienveillant d’une ilienne sans île. Qui nous invite à regarder ce que la mer montre.
Alors REGARDE (Bordel !) LA MER MONTE.
Pascal- Marie Bernard
Merci à toutes les institutions qui m’ont soutenu, notamment la Ville de Montpellier, la DRAC, la Région Occitanie et le Lycée Joliot Curie de Sète.